Et si on donnait une place à l’intelligence émotionnelle ?
Lorsque j’ai commencé ma carrière professionnelle, mon premier chef m’a dit un jour « tes problèmes perso, tu les laisses sur le paillasson à l’entrée de l’agence. Ici, tu fais ce qu’on te demande ». Je me rappelle l’impact de ces mots et à quel point je me suis sentie coincée, presque piégée dans un monde dans lequel aucun de mes ressentis ou états d’âme ne pouvaient être exprimés. Or, nous passons 90% de temps éveillé à ressentir !
La plupart de sensations sont d’abord physiques : un mal de ventre, un coin de peau qui gratte, un coup de chaud, le cœur qui palpite, la gorge nouée… Autant de signaux qui nous indiquent une perturbation à l’intérieur de nous, comme si quelque chose frappait à la porte. Et si c’était une émotion ? L’émotion, c’est en effet ce signal qui nous permet d’identifier un changement dans notre espace intérieur et qui nous invite à rétablir un état de joie, qualifiée de seul état émotionnel que notre corps et notre esprit recherchent en permanence tant ses effets sont bénéfiques pour notre santé physique et mentale. La colère, la peur et la tristesse (et toutes leurs déclinaisons) sont donc avant tout des messagers qui nous informent que nous avons quitté notre état naturel de joie et qui nous invitent à réagir afin de rétablir l’équilibre, la paix et l’harmonie en nous.
Développer notre capacité à observer nos émotions, d’y mettre de la conscience et du sens pour guider nos actions et agir en pleine responsabilité, voilà l’idée derrière le concept d’intelligence émotionnelle dont nous entendons parler depuis une petite dizaine d’années. Quelle place donner à l’intelligence émotionnelle dans nos vies et surtout comment la développer ? Voici les deux principales questions que je vous propose de traiter dans cet article.
« Capacité à observer ses propres émotions et sentiments ainsi que ceux des autres afin d’y mettre du discernement et de pouvoir utiliser ces informations pour guider ses actions et ses pensées »
Diane Taïeb
Prendre soin de la parcelle d’humanité qui nous a été confiée
Les concepts évoluent plus vite que les mentalités, les mentalités évoluent plus vite que les structures. Voici en résumé ce que j’ai pu retenir de mes études universitaires d’histoire. Ainsi, lorsqu’un concept émerge, il lui faut du temps, un temps incompressible et imprévisible, pour trouver des déclinaisons concrètes dans la vie quotidienne et voir des effets structurels dans les sociétés. Ainsi, on se rappellera qu’il fallut près d’un siècle de réflexions littéraires, artistiques et philosophiques portés par les Lumières avant d’aboutir à ce bouleversement que fut la Révolution Française.
Il est donc malaisé de pouvoir se projeter sur les effets qu’auront des approches comme celles de l’intelligence émotionnelle, à moins de lire dans le marc de café ou dans une boule de cristal ce que je laisse volontiers à ceux qui en ont les capacités. En revanche, je crois que nous sommes en mesure d’apprécier la portée de ce que ce concept peut apporter dans nos vies. Développer son intelligence émotionnelle, c’est avant une démarche au service de l’humanité.
Notre humanité d’abord, c’est-à-dire notre capacité à nous émouvoir, à ressentir et à partager autour de nous ces sensations. Ceci peut s’exprimer dans une quête de sens pour être en paix, avec soi et les autres ou encore permettre d’éviter les blessures psychiques. C’est aussi un moyen de s’engager sur un chemin de connaissance et de croissance personnelles ou encore un moyen de se connecter à soi, ou à l’autre, voire même pourquoi pas de lui venir en aide. En somme, c’est une démarche volontaire qui consiste à prendre soin de la parcelle d’humanité qui nous a été confiée.
« Chaque matin, les hommes et les femmes qui prennent soin de la parcelle du réel qui leur est confiée sont en train de sauver le monde, sans le savoir »
Christiane Singer
Créer des espaces de bienveillance avec soi-même
Comment faire pour entretenir notre intelligence émotionnelle ? Gardons d’abord à l’esprit que si nous n’ouvrons pas la porte à une émotion qui y frappe, il y a de grandes chances qu’elle revienne par la fenêtre. Ainsi, la première étape consiste à accueillir nos émotions, à leur faire une petite place au creux de nous-même, une place confortable bien au chaud dans notre espace intérieur. Appuyer sur le bouton pause permet d’ouvrir cette porte. Les techniques de respiration et de pleine conscience permettent cette ouverture et cette écoute de ce qui se passe dans notre corps. Par exemple, la pratique du scan corporel est une méthode efficace pour identifier à quel endroit notre corps nous parle et pour qualifier les sensations agréables ou désagréables que notre corps abrite. S’ancrer dans son corps par des techniques de visualisation peut également permettre de se sentir incarné et vivant. Revenir au corps constitue donc le premier levier d’accueil de nos émotions.
Le second levier est de pouvoir mettre des mots sur ces sensations. Les pratiques de météo intérieure sont des moyens d’accéder à ces formulations. Comment je me sens ici et maintenant ? Grâce à la métaphore de la météo, il est en effet possible de qualifier une tendance en y associant une image, une cartographie de notre ciel : ensoleillé, nuageux, pluvieux, orageux, etc. autant de tendances qui peuvent éclairer ce qui se passe en nous. Une méthode complémentaire est celle du photo langage qui à l’appui d’images, de cartes ou de photos projettent notre état intérieur vers l’extérieur. En développant notre capacité à poser des mots sur nos sensations, il arrive qu’un mot, une couleur, une sensation aient le même effet qu’un baromètre pour permettre de qualifier notre tendance émotionnelle. Ce qui se ressent passe alors par une phase d’expression, comme un moyen d’extériorisation de nos sensations.
Enfin, et alors, nous serons en mesure de sortir de l’automatique « ça va bien/ça va mal » qui ressort bien souvent en réponse à notre question du comment ça va. Enrichir son vocabulaire devient plus aisé en étant connecté à ses sensations physiques et en y ayant associé une image. Nous pouvons considérer quatre émotions principales : la joie, la colère, la peur et la tristesse. Chacune revêt ses propres déclinaisons et sensations. Par exemple, en ce qui me concerne, je sais que dans la plupart des cas, mon mal de ventre est lié à une peur ou bien que lorsque mon cœur se met à accélérer, je suis surement en colère. Chacun a sa propre cartographie émotionnelle. Il est possible de se référer à la Roue de Plutchik pour enrichir son vocabulaire et je vous en propose une interprétation ci-dessous.
En somme, il s’agit de prendre le temps de créer des espaces de bienveillance avec soi-même pour accueillir ce qui se passe en nous, prendre le temps de se laisser sentir et poser des images et des mots sur nos émotions, avec douceur et réalisme.
Si développer notre capacité à observer nos émotions n’avait un effet que sur nous, ce serait déjà énorme. Ceci dit, à l’image de ce que pouvait proposer Gandhi, c’est en amorçant un changement individuel à grande échelle qu’il devient un changement d’ampleur. S’écouter soi et conscientiser nos émotions afin de prendre du recul sur ce qui nous arrive permet d’éviter les conflits, les fuites ou les inerties qui peuvent surgir lorsque nous ne savons pas quoi faire de nos émotions. Reprendre la responsabilité de qui se passe en nous pour agir plutôt que réagir voilà un des effets possibles en termes de comportements entre les individus. Entretenir son intelligence émotionnelle, c’est la promesse de voir un jour naitre entre les hommes et les femmes des relations harmonieuses dans lesquelles l’expression des émotions se fait dans une dynamique authentique et attentive au service de notre humanité.
« sois le changement que tu veux voir dans ce monde »
Gandhi